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jeudi 8 octobre 2009

Causeries d`Abidjan - Un cinquantenaire pour quelle indépendance ?

Dans quelques mois, la plupart des ex-colonies françaises d'Afrique fêteront le cinquantenaire de leur indépendance. Au moment où de nombreux pays s'apprêtent à donner à ces festivités un cachet spécial, force est de nous interroger sur le contenu du mot « indépendance » tel que vécu par les Africains depuis 1960. cinquante ans après « le Soleil des indépendances », les pays africains peuvent-ils prétendre réellement être indépendants ? Octroyées ou acquises, les indépendances ont été diversement interprétées sur le continent. Quand en 1957, le Ghanéen Kwame Nkrumah invitait les pays africains, après de longues années de lutte anticoloniale, à pendre leur indépendance, il recevait le « non » poli de l'Ivoirien Félix Houphouët-Boigny qui, lui, optait pour une «transition en douceur» au sein de la Communauté franco-africaine. La Gold Coast, ancienne colonie britannique prendra son indépendance en 1957, sous l'appellation de Ghana. Dans l'espace francophone, ce pays sera suivi en 1958 par la Guinée de Sékou Touré, celui-là même qui entrera dans l'histoire de l'Afrique contemporaine comme « l'Homme qui a osé dire Non à la grande France du général De Gaulle ! ». L'argument avancé par Félix Houphouët-Boigny, c'est qu'une indépendance politique sans une indépendance économique ne vaut rien. En clair, il fallait d'abord doter nos pays d'infrastructures capables d'assurer notre indépendance économique avant de revendiquer l'indépendance politique. Il n'empêche que trois ans après le Ghana et deux ans après la Guinée, les pays francophones africains, mis à part l'Algérie -qui obtiendra son autonomie en 1962, après une longue lutte armée-, se verront « distribuer » les indépendances par l'ex-colonisateur. 1960 est donc l'année des indépendances pour la plupart des pays d'Afrique francophone. Cependant, depuis cette date jusqu'à nos jours, force est de constater que l'Afrique jouit d'une indépendance sous scellée, une indépendance factice, une indépendance « sous haute surveillance », pour paraphraser Alpha Blondy, avec comme conséquence, une économie sous perfusion. Les pays africains peuvent-il clamer leur indépendance politique quand leur sécurité dépend pour la plupart de l'ex-colonisateur? Les accords de défense signés au lendemain des « indépendances », ne démontrent-ils pas que ces pays sont encore tributaires de la France ? Peut-on dès lors parler d'indépendance politique sans indépendance militaire ? En signant ces accords de défense, des dirigeants africains scellaient en réalité le sort de leurs pays, politiquement, militairement et économiquement. La France se taillait ainsi la part du lion au nom d'une prétendue assistance militaire. Lisons plutôt : « L'accord de défense entre les Gouvernements de la République française, de la République de Côte d'Ivoire, de la République du Dahomey et de la République du Niger du 24 avril 1961, établit l'installation de forces militaires françaises dans ces trois pays, leurs facilités de circulation et d'utilisation des infrastructures et évoque des « Accords spéciaux » aux termes desquels ces trois pays peuvent demander l'aide de la France en matière de défense. », écrit Wikipédia l'encyclopédie libre. Les « pères » des indépendances qui avaient à cœur de préserver leurs fauteuils présidentiels au détriment de l'intérêt de leurs peuples ont signé, sans rechigner, ce document, qui ressemble en tout point à un accord de dupe. A cause de cet accord, la France a toujours interféré dans les affaires de certains États africains, grâce à la présence de ses bases militaires sur le continent. Tantôt pompier, tantôt pyromane, elle a mainte fois influencé le jeu politique en Afrique, au gré de ses intérêts. Sur le continent, la France est très souvent accusée d'être instigatrice ou complice de la destitution et du maintien au pouvoir de certains dirigeants. La contrepartie pour ces « services rendus» est ahurissante. Lisons encore ce qui suit, toujours selon Wikipédia : « La deuxième annexe de cet accord de défense, concernant les « matières premières et produits stratégiques » (hydrocarbures, uranium, lithium...), stipule que ces mêmes pays, « pour les besoins de la défense, réservent par priorité leur vente à la République française après satisfaction des besoins de leur consommation intérieure, et s'approvisionnent par priorité auprès d'elle » et « lorsque les intérêts de la défense l'exigent, elles limitent ou interdisent leur exportation à destination d'autres pays ». Fort de ce qui précède, de nombreuses voix ne cessent de s'élever sur le continent pour demander la révision de cet accord. Le président Nicolas Sarkozy, qui entend certainement se démarquer de ses prédécesseurs, adeptes indécrottables de la « Francafrique », un terme qui aurait été inventé par Félix Houphouët-Boigny et qui en réalité n'est autre qu’un concept pour maintenir les ex- colonies dans un état de pays colonisés, n'est pas resté indifférent à ces appels. « Je pense que les temps ont changé et que la France n'a pas à jouer un rôle de gendarme en Afrique, c'est le rôle de l'Union africaine et des organisations régionales africaines », a-t-il dit, au cours d'une visite en Afrique du Sud en 2008. Mieux, le président français précisera quelques mois plus tard devant la conférence des ambassadeurs, à l'Élysée : « Fin 2009, les accords de défense qui nous lient à huit pays africains auront été renégociés dans une perspective radicalement nouvelle... Désormais, la France conçoit son rôle d'abord comme un appui à la création de forces africaines capables d'assurer collectivement la sécurité de leur continent, dans le cadre de l'initiative de défense de l'Union africaine ». Voilà qui est dit. Avec ce désengagement militaire de la France, qui annonce inévitablement la mort de la « Francafrique », ce cinquantenaire est donc l'occasion d'un bilan qui devrait permettre d'envisager l'avenir : celui de la vraie indépendance des pays de l'Afrique francophone. En Côte d'Ivoire, on parle de plusieurs milliards de francs CFA pour l'organisation de cette commémoration qui devrait s'étaler sur un an à savoir du 31 décembre 2009 au 31 décembre 2010. En réalité, ce n'est sans doute pas à travers des manifestations d'envergure et onéreuses que nous affirmerons notre indépendance. En effet, cet anniversaire devrait être l'occasion de réfléchir à notre devenir. L'Afrique doit s'assurer son indépendance économique, ce qui suppose qu'elle doit se doter d’infrastructures capables de répondre aux besoins grandissants de sa population. Est-il donc opportun, pour ce cinquantenaire d'une indépendance dont nous ne jouissons pas jusqu'ici, de dépenser des sommes faramineuses alors que notre pays a besoin de se construire ? Toute cette manne financière dédiée à ce cinquantenaire ne peut-elle pas servir à renforcer l’économie ivoirienne de sorte à générer des emplois ? Car, à vrai dire, notre indépendance réelle passe par notre propre prise en charge. Voilà tout.

Axel Illary

Affaire Guy-André Kieffer : a quand l`heure de vérité ?


En dépit de manoeuvres de diversions plus ou moins grossières, l`instruction progresse. Et l`étau se resserre sur l`appareil sécuritaire de la présidence ivoirienne.

Le marathon de "l`affaire Kieffer" toucherait-il à sa fin? Tout porte à le croire. A commencer par la cascade de coups de théâtre récents, entre vrais aveux, écrans de fumée et douteuses diversions. Qu`elle carbure à l`intox ou pas, la machine s`emballe...

Mercredi soir, le procureur d`Abidjan Raymond Tchimou, cité par l`Agence France-Presse, émet des doutes quant au décès du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer, disparu le 16 avril 2004. "On ne cherche plus un homme mort, hasarde le magistrat, mais quelqu`un qui a été exfiltré de la Côte d`Ivoire et qui vit actuellement."

Bizarrement, la dépêche de l`AFP tombe moins d`une heure après la diffusion, dans le 19/20 de France 3, d`extraits du témoignage crucial d`Alain Gossé, un ex-sergent-chef de l`armée ivoirienne, recueilli par le reporter Joseph Tual et rendu public par la même chaîne dès le 22 juillet.

Le sous-officier, affecté au "service logistique de la présidence" à l`époque des faits, affirme avoir conversé brièvement avec "GAK", alors détenu dans une cellule située au sous-sol du palais présidentiel. Il indique aussi que le journaliste, qui enquêtait notamment sur la corruption au sein de la filière café-cacao, a été transféré le 19 avril dans un village proche d`Abidjan, où il aurait été tué par balle accidentellement, lors d`un interrogatoire musclé. "Une bavure", soutient Gossé.

Comme l`a révélé L`Express du 26 août, ce sergent-chef a livré six jours plus tôt un récit détaillé au juge d`instruction français Patrick Ramaël, à la faveur d`une audition organisée au Bénin. Récit qui corrobore et complète la version confiée en 2007 au même Joseph Tual (France 3) par Berté Seydou, le chauffeur de Jean-Tony Oulaï, chef présumé du commando soupçonné d`avoir perpétré l`enlèvement.


Pourquoi inculper deux Français?

Autant dire que les "révélations" du juge Tchimou, qui s`efforce depuis plusieurs mois d`accréditer la thèse d`une "piste hexagonale", au point d`avoir inculpé en août deux citoyens français, n`ébranlent nullement Bernard Kieffer, le frère de Guy-André, ni son avocat.

"Nous voyons là le reflet d`un affolement, indiquait ce matin Me Alexis Gublin. Comme si les autorités ivoiriennes, sans doute conscientes que l`on est très proche de la vérité, faisaient feu de tout bois. De deux choses l`une: ou elles détiennent des preuves, et elles les produisent ; ou elles n`en détiennent pas. Dans ce cas, il est inacceptable au regard de la famille de laisser planer un tel espoir."

De fait, il faudra bien a minima que Raymond Tchimou élucide ce paradoxe: pourquoi inculper deux Français pour "complicité d`arrestation arbitraire, enlèvement et séquestration" -et projeter d`en incriminer plusieurs autres- si Guy-André Kieffer coule incognito des jours tranquilles dans une mystérieuse retraite?

Le "scoop" du juge abidjanais appelle une autre remarque: jusqu`alors, celui-ci s`employait, tout comme le procureur militaire Ange Kessi ou Me Rodrigue Dadjé, avocat de Simone Gbagbo -l`épouse du chef de l`Etat-, à discréditer Alain Gossé, relégué au rang d`imposteur burkinabé.


"Parlons d`un disparu,pas d`un mort"

Or, Tchimou se borne désormais à dénoncer un témoignage qui "n`apporte rien de nouveau à notre dossier très épais" et "vise à amuser la galerie". Il est vrai qu`entre-temps, France 3 a produit à l`écran des documents, dont une carte d`identité ivoirienne, attestant la nationalité et le statut militaire de l`intéressé. Reste que le juge Tchimou, déçu d`une mission infructueuse conduite à Paris en août -toujours la fameuse "piste française"-, aurait l`intention de rééditer la tentative au cours de ce mois d`octobre. Afin d`inculper entre autres Berté Seydou pour "faux témoignage" et... Bernard Kieffer pour "complicité de faux témoignage et subornation de témoin". Projet dévoilé le 24 septembre, au prix d`une insolite confusion des genres, non par le magistrat lui-même, mais par le conseil de Simone Gbagbo. Le scénario, hélas chimérique, d`un "GAK" rescapé, a déjà beaucoup servi. La "Première dame" récuse ainsi l`assassinat. En avril dernier, lorsque le juge Ramaël l`interroge à Abidjan, que lui objecte-t-elle? Ceci: "Pourquoi me parlez-vous d`un mort? Rien ne prouve qu`il le soit. Parlons d`un disparu, pas d`un mort."
Autre argument invoqué: l`absence de cadavre à ce stade. Pour autant, la vieille martingale -"Pas de corps, donc pas de meurtre; pas de meurtre, donc pas d`affaire"- demeure aléatoire. D`autant que les juges d`instruction Patrick Ramaël et Nicolas Blot n`ont pas renoncé à localiser la dépouille.


Nicolas Sarkozy et la vérité

"Côté français, souligne Bernard Kieffer, l`enquête n`a jamais cessé d`avancer". Exact. Mais sans doute se heurte-t-elle encore, entre autres, à un écueil de nature politique. Le témoignage d`Alain Gossé tend à dédouaner le président ivoirien et son épouse de toute responsabilité, au moins directe. "Mme Gbagbo n`est pas trop impliquée", avance l`ancien sergent-chef, avant de pointer l`index sur "son cabinet" et "sa garde rapprochée". Allusion transparente à Anselme Seka Yapo, chef de la garde rapprochée de "Simone", et à Patrick Bahi, réputé proche de "Laurent". Pour solder la douloureuse énigme, Laurent Gbagbo devra bien "sacrifier" l`un ou l`autre membre de l`entourage présidentiel, pivot de l`appareil sécuritaire ou conseiller d`un ministre naguère influent. Est-il disposé à payer un tel prix, à quelques mois d`une échéance présidentielle incertaine? Mystère. Une certitude: Nicolas Sarkozy a clairement signifié à la famille du disparu qu`il n`y aurait pas de normalisation pleine et entière entre Paris et Abidjan avant qu`éclate la vérité. Tôt ou tard, elle éclatera. Assez tôt, selon toute vraisemblance. Et l`impact de la déflagration fera vaciller plus d`un personnage supposé intouchable.

Vincent Hugeux, in l`Express (01/10/2009)

NB: Le titre et le surtitre sont de la rédaction