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lundi 24 novembre 2008

À méditer

Après les ouragans dévastateurs qui ont semé dégâts et désolation sur leur passage cette année, l’Amérique du Nord a été frappée de plein fouet par une crise financière qui l’a plongée dans la récession. Les Etats-Unis sont plus que jamais devenus le centre nerveux du monde. On l’a constaté avec l’élection présidentielle où l’arrivée de Barack Obama à la Maison-Blanche a pris la dimension d’un phénomène planétaire. La déferlante crise financière qui a pris naissance dans ce pays s’est propagée partout dans le monde. Elle a installé la récession dans la plupart des grandes puissances économiques mondiales. Les places boursières sont devenues folles; les plus grosses banques et maisons d’assurances ont plongé. Entraînant dans leur sillage tout le système financier. C’est pourquoi nous avons appris, avec une profonde tris-tesse, que l’Afrique serait à... l’abri de cette bourrasque mondiale. Sans être un expert des questions financières, nous avons alors compris une chose, une seule: l’Afrique ne compte pas -ou si peu- dans le système économique mondialisé. Elle n’a rien; elle n’est rien; elle représente l’infiniment petit. Que fait-elle pour s’affranchir de cette situation déshonorante? Sur ce sujet, qui engage l’avenir du continent, nous avons écouté deux de ses fils prendre position la semaine dernière. D’un côté, le Président ivoirien, Laurent Gbagbo, à Yamoussoukro, à l’occasion du premier sommet régional sur les mines, le pétrole et l’énergie. De l’autre, le Secrétaire général de la Francophonie, M. Abdou Diouf, au cours du Talk de Paris, sur France 24. Que retenir principalement de ces deux regards croisés, de ces deux visions de l’avenir? Deux discours à méditer: l’un sur le changement, l’autre sur le maintien du statu quo. A Yamoussoukro, le Président Laurent Gbagbo a lancé un vibrant appel à la conscience des dirigeants africains. Il leur demande de chercher à prendre le chemin de la dignité, de l’honneur et de l’avenir en adoptant des attitudes courageuses, des choix refondateurs. Pendant des décennies, l’Afrique s’est glorifiée d’être la plus grande réserve de mines et de minéraux. Elle s’est toujours contentée d’exporter des matières premières, laissant aux autres le soin de les transformer et d’en tirer d’énormes profits. C’est ainsi que l’Europe a pillé, avec l’accord de ses différents dirigeants, les richesses naturelles, minières et minéralières de l’Afrique, achetées aux prix fixés par les bourses... occidentales. Pour Gbagbo, l’avenir passe, indéniablement, par l’exportation de produits finis ou semi-finis. En clair, l’Afrique doit passer à l’étape de l’industrialisation, pour une meilleure prise en main de son avenir, de son développement. Par la maîtrise de l’exploitation de ses nombreuses richesses et la mise en place de fonds souverains ou de garantie. Le Secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie a, lui, évoqué sur France 24 les incidences de la crise financière sur l’Afrique: il faut espérer que cela n’affecte pas l’aide au développement. Il s’est voulu d’ailleurs rassurant en annonçant que les pays développés ont réaffirmé leur engagement à consentir 0,70% de leur PIB à la solidarité internationale. Autrement dit, il continue de s’agripper aux schémas anciens. Cela fait plus de 20 ans que les pays du Nord ont librement décidé de consacrer ces 0,7% à l’aide au développement. Est-il possible que ce qu’ils n’ont jamais pu -ou voulu- faire par temps de vaches grasses puisse être envisagé au moment où les donateurs sont eux-mêmes essoufflés? Difficile de le croire. L’Afrique doit donc se réveiller et faire preuve de réalisme: son avenir et son développement dépendent, d’abord et avant tout, de son ardent désir de changement. Mais ce changement ne peut être possible que si ses dirigeants et ses populations, sans forcément couper le cordon ombilical, décident de s’affranchir des tutelles pesantes et sclérosantes qui confinent à une mise sous tutelle. Ce changement passe donc par une ambitieuse politique de mise en valeur des matières premières. Ce changement passe surtout par une diversification des partenaires pour éviter d’être la chasse gardée de qui que ce soit. Le traitement de la crise financière par l’Amérique et l’Europe devrait faire méditer l’Afrique, ses dirigeants et ses populations. Pour sauver les Etats-Unis d’une banqueroute annoncée, le plan Paulson a prévu 700 milliards de dollars, soit près de 320.000 milliards de francs CFA. L’Europe a décidé, elle aussi, d’injecter des milliards d’euros dans son système financier pour éviter une catas-trophe dont l’onde de choc aurait sinistré, de manière presque irréversible, une économie fortement grippée. Toutes les initiatives tentées ici et là devraient achever de convaincre les Africains d’une triste vérité: les riches se prêtent de l’argent entre eux. Ils savent où lever des fonds quand leur existence est en jeu. Tous ceux qui ont contraint nombre de nos Chefs d’Etat à aller à une libéralisation sauvage reconnaissent l’importance de l’Etat régulateur. A méditer !Oui, c’est aujourd’hui l’Etat qui vole au secours des banques privées, des sociétés d’assurances, du secteur de l’automobile à l’agonie... Aux Etats-Unis, 25 millions de dollars sont indispensables à la remise en route de General Motors, Chrysler et Ford. La disparition d’un seul de ces trois fabricants d’automobiles ferait perdre trois millions d’emplois au moins. Nous devons donc méditer ce qui se passe sous nos yeux, au lieu de réciter des recettes et formules incantatoires de maîtres à penser aujourd’hui rattrapés par leurs théories. Tous ceux qui ont tourné l’Assurance maladie universelle en dérision doivent être confus de constater qu’Obama, que tout le monde idolâtre, accorde une importance particulière au 48 millions d’Américains ne disposant d’aucune couverture sociale. La libéralisation de l’entretien routier est l’une des plus grosses bêtises qu’on a obligé nos dirigeants à avaliser. Aujourd’hui, il n’existe plus de routes en zones rurales. Du chef-lieu de département aux sous-préfectures; de la sous-préfecture aux villages; d’un village à un autre: partout, la même désolation, la même impuissance. L’Afrique doit cesser d’apparaître sur les écrans des grandes chaînes de télévision mondiales avec des images déshonorantes. Le Zimbabwe rime quotidiennement avec le ridicule: les volte-face répétées ternissent l’image du pays et aggravent la précarité et l’inflation galopante qui tuent nos économies. Que dire de la République démocratique du Congo qui semble avoir signé un pacte avec les rébellions et l’instabilité chronique? Malgré un processus de sortie de crise formaté, financé et exécuté de bout en bout par les Nations Unies, le pays est toujours en proie à des conflits réunissant tous les ingrédients d’une vaste déflagration régionale on ne peut plus meurtrière. Tous ceux qui, en Côte d’Ivoire, ont réclamé la mise sous tutelle de leur pays ont, sous leurs yeux, un exemple d’échec patent de l’ONU. Faut-il encore rappeler la honte infligée à l’Afrique par ces pirates des temps nouveaux qui, dans la presqu’île de Bakassi ou dans le golfe d’Aden, se livrent à des prises d’otages pour réclamer des rançons? Toutes ces situations sont à méditer. Pour enclencher le changement! Pour amorcer la renaissance africaine!Par Jean-Baptiste Akrou

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