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lundi 20 octobre 2008

Charles Diby Koffi : “Les dépenses hors budget seront régularisées”


M. le ministre, quelles leçons tirez-vous de ces assemblées annuelles du Fmi et de la Banque mondiale et avec quel espoir retournez-vous en Côte d’Ivoire?
Ces assemblées annuelles se sont focalisées sur la crise financière que traverse le monde actuellement et dont on craint qu’elle ne se transforme en récession économique. Et si tel était le cas, nous craignerions, en tant que pays à faibles revenus, de recevoir l’onde de choc de cette crise. Aussi, au niveau des pays africains, avons-nous décidé de mettre en place un comité de réflexion dirigé par les gouverneurs de nos banques centrales et composé des présidents des commissions économiques des unions. Afin de faire une étude sur l’impact probable de cette crise sur nos économies pour que déjà, nous puissions anticiper. Car, il ne faut pas croire qu’elle ne concerne que les économies avancées. Nous pouvons être touchés et, par conséquent, il importe de prendre des mesures pour pouvoir gérer au mieux cette crise qui s’internationalise.
La délégation ivoirienne a eu de nombreuses séances de travail jusqu’à des heures tardives. Pourquoi?
En marge de ces assemblées, nous avons continué nos discussions avec la Banque mondiale et le Fonds monétaire international ; parce que nous souhaitons obtenir un programme (de Facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance ou Frpc) d’ici à la fin de l’année. Je pense qu’elles sont en bonne voie. Mais nous avons encore des efforts à faire. Il ne faut pas se le cacher ou cacher les choses. Nous avons pris l’engagement de renforcer ces efforts de sorte que d’ici à fin novembre prochain, notre dossier soit prêt à être présenté aux conseils d’administration du Fmi et de la Banque mondiale. Entre autres, l’une des priorités, c’est l’apurement de la dette de la Banque africaine de développement (Bad), parce que la conclusion de notre dossier est un package. Tant que notre pays n’a pas apuré sa dette vis-à-vis de la Bad, le Fmi ne peut pas nous accorder son programme débouchant sur l’allègement de la dette. La Côte d’Ivoire s’est mise à jour vis-à-vis de la Banque mondiale, elle devra aussi le faire pour la Bad. Je tiens cependant à rappeler que les arriérés de dette de la Bad que nous sommes en train de payer en une échéance sont ceux accumulés au cours des sept dernières années. C’est pourquoi, il y a une pression sur la trésorerie. Et les Ivoiriens doivent comprendre que c’est la pilule à avaler pour que demain soit meilleur. On ne peut pas faire autrement si l’on veut demain bénéficier de l’allègement de la dette pour pouvoir reprendre la route des investissements, créer plus d’emplois dans le pays, rassurer les investisseurs privés et attirer, ce faisant, des investissements directs étrangers massifs. Toutes choses qui contribueront à renouer durablement avec un bon taux de croissance et la richesse à partager équitablement pour que chacun ait au moins un minimum.
Comme vous pouvez le constater, l’enjeu est majeur.
Combien la Côte d’Ivoire doit concrètement payer, en urgence, à la Bad?
Nous sommes obligés de payer 100 milliards de francs CFA (un peu plus de 152 450 644 euros) dans ce mois d’octobre pour nous mettre à jour vis-à-vis d’elle.
Cet apurement est-il accompagné d’un appui budgétaire?
Bien sûr ! Il nous apportera un appui budgétaire qui est actuellement l’objet de discussion. Le ministre d’Etat, Bohoun Bouabré, lui-même gouverneur de la Bad, s’en occupe. Et je pense qu’on pourrait avoir un appui budgétaire substantiel. En outre, la Banque mondiale nous promet également un appui budgétaire d’ici à la fin de l’année. C’est pourquoi, nous rassurons les opérateurs économiques quant au respect des engagements de l’Etat et au paiement de leurs créances. Mais en attendant, nous avons à nous acquitter, en urgence, d’une conditionnalité des institutions financières qui consiste à faire face rapidement au paiement des arriérés afin de parvenir à la conclusion d’un programme avec le Fmi, synonyme de sortie de tunnel pour la Côte d’Ivoire et pour les populations ivoiriennes. Vous savez, nous ne pouvons pas espérer avoir un taux de croissance important si nous ne pouvons payer nos arriérés intérieurs pour dynamiser notre économie. Mais, on a mis au point ensemble un programme et nous demandons un petit effort supplémentaire aux uns et aux autres pour que demain soit meilleur pour tous et pour chacun.
Alors, d’ici à la fin de l’année 2008, un apurement substantiel des arriérés intérieurs sera fait puisqu’on aura fini avec nos arriérés extérieurs susmentionnés. Je tiens à ce que les fournisseurs le sachent. On n’a pas besoin de mettre la pression relativement à l’apurement de la dette intérieure puisque les gouvernants, n’ignorent pas que la croissance forte sera le fait de la relance vigoureuse et de la dynamisation des activités productives du secteur privé, et ce faisant de notre économie. Nous n’ignorons pas non plus que cet apurement rassurera les investisseurs et opérateurs quant à une sortie effective de la crise.
Parlant des appuis budgétaires, à combien peut-on les estimer globalement, Banque mondiale et Bad mises ensemble?
Globalement, on ne sera pas en deçà des 100 milliards de FCFA si tout se passe bien.
On rembourse 100 milliards pour recevoir 100 milliards…
C’est le fonctionnement des Institutions financières, mais nous continuons de négocier pour avoir plus d’appuis budgétaires. Cela dit, il ne faut pas s’arrêter à ces seuls appuis. Il faut voir la possibilité qu’offrent ces apurements d’arriérés au pays en termes de réception de financements des autres partenaires au développement.
La dernière mission conjointe Fmi-Banque mondiale a fait mention d’un dépassement budgétaire et de dépenses hors budget. Comment l’expliquez-vous?
Il ne s’agissait pas de dépassement budgétaire en tant que tel. Vous savez, nous avons décidé, nous-mêmes, d’utiliser une partie de nos ressources pétrolières pour réaliser des investissements, entre autres, le transfert de la capitale à Yamoussoukro, décidé depuis 1983. Depuis très longtemps, l’Etat n’a pas pu réaliser des investissements nécessaires à cet effet. Alors, on préfère utiliser au moins une partie des ressources pétrolières pour financer ce transfert de la capitale pour que demain, on puisse dire aux générations à venir voilà ce que l’Etat a pu réaliser avec l’argent du pétrole. On aura au moins des investissements visibles financés par notre pétrole.
Lorsque la réalisation des chantiers a commencé, nous avons fait le décompte et avons présenté la situation au Fonds monétaire international en soulignant que ces dépenses n’étaient pas prévues dans le budget. Mais comme elles étaient gagées sur des ressources qu’on a déjà comptabilisées, le gouvernement allait faire un modificatif budgétaire pour l’y intégrer. Voilà ce qu’il en est. Je peux vous assurer que ce modificatif sera fait incessamment. Ce sont des dépenses réelles en investissement, visibles et palpables. Heureusement d’ailleurs que ce sont des dépenses en investissement ! Ç’auraient été des dépenses en fonctionnement qu’on se serait demandé plus tard ce que l’Etat a fait de l’argent du pétrole du pays. En tout état de cause, nous voulons pérenniser cette manière de faire, c’est-à-dire garder une petite partie de notre recette pétrolière pour réaliser des investissements pour demain : reprendre les routes (entretien routier), poursuivre les chantiers de la capitale, reprendre l’hôtel Ivoire, faire le pont, etc. Parce que je pense que c’est la meilleure façon de garantir l’avenir de notre pays.
Ayant expliqué tout cela aux autorités du Fonds et de la Banque mondiale, peut-on dire que vous retournez confiant en Côte d’Ivoire?
Oui. Nous avons pris des engagements. Nous leur disons de nous faire confiance. Nous allons retourner au pays et faire rapidement le modificatif pour garantir la transparence de ces opérations, puisque nous n’avons rien à cacher. Ensuite, nous allons accroître nos ressources pour avoir un solde primaire qui soit largement positif pour respecter le critère, apurer les arriérés de dette, accroître les dépenses sociales, et prendre des mesures de transparence accrue pour la gestion de nos ressources à partir de l’année prochaine.
Il convient de noter qu’en marge des assemblées, j’ai pu rencontrer de nombreuses personnalités dont des investisseurs américains et européens. Entre autres, le président de Citigroup, l’ancien président de la Banque mondiale, des responsables de la Banque européenne d’investissement (Bei) et bien d’autres qui ont montré leur intérêt pour la Côte d’Ivoire.
Par rapport à tout ce qui précède, que voulez-vous que les Ivoiriens retiennent?
Je suis heureux de constater que la presse, prise dans son ensemble, a perçu la portée de la conclusion du programme avec le Fmi. Je m’en réjouis parce que ce programme est important pour notre pays. Tant qu’on n’aura pas bénéficié de l’allègement de notre dette, le pays court vers l’asphyxie financière ; car le tiers de notre budget sert à payer la dette. Le deuxième tiers sert à payer les salaires et le dernier se divise en deux, une partie allant à l’investissement (faible) et l’autre au fonctionnement. Le seul poste sur lequel on peut jouer, c’est la dette extérieure. Tous les pays qui connaissent aujourd’hui des taux de croissance intéressants ont bénéficié de l’allègement. Nous sommes parmi les derniers pays à n’en avoir pas bénéficié ; et le mécanisme s’arrête d’ici à fin mars 2009. Comme quoi, nous sommes à un tournant décisif de l’histoire de notre pays. Je souhaite que les Ivoiriens nous aident à faire en sorte qu’on ait ce programme et que d’ici aux années à venir, on ait l’allègement de la dette et que l’argent qu’on devrait utiliser pour payer l’extérieur serve à créer des emplois en Côte d’Ivoire. C’est cela notre souhait, notre combat. La tâche n’a pas été facile. Beaucoup ne l’ont pas compris, croyant qu’il s’agissait d’une mauvaise orientation des fonds de l’Etat. Que non ! Mais je ne voulais pas parler tant qu’on n’avait pas atteint un point intéressant pour le pays. Bien sûr, nous n’avons pas encore atteint notre objectif, mais nous ne sommes pas loin d’y parvenir. Que tout le monde garde son calme. Que tout le monde nous accompagne dans le dernier virage qui conduit au point de décision de l’Initiative PPTE et donc à l’allègement de la dette qui permettra de garantir l’avenir du pays et de nos enfants.
Interview réalisée à Washington
Par Gooré Bi Hué
Focus : Repenser le rôle de prêteur du Fmi
Le Comité monétaire et financier international du conseil des gouverneurs du Fonds monétaire international (Fmi) qui s’est réuni, le 11 octobre dernier, durant les assemblées annuelles des deux institutions de Bretton Woods, créées en 1944, a recommandé que le rôle de prêteur du Fonds soit repensé. « Les concours financiers du Fmi sont importants pour donner confiance aux pays membres – sous réserve de garde-fous adéquats- en les aidant à faire face aux problèmes posés par la mondialisation en général et à la crise financière actuelle en particulier », dit dans son communiqué le comité. Qui insiste sur le fait que le Fmi est prêt à mettre pleinement à profit la souplesse inhérente à ses instruments de prêt, notamment dans les procédures d’urgence et les dispositions prévoyant un accès exceptionnel. « Toutefois, il convient de passer en revue ces instruments qui devront être adaptés aux besoins en pleine évolution des pays membres », note ce comité qui souscrit à la poursuite des travaux dans les cinq domaines suivants : d’un, examiner le cadre analytique des prêts et sa cohérence, notamment les possibilités de simplification des instruments de prêts et d’innovation, et explorer de nouvelles modalités de prêt. De deux, mettre en place un instrument de liquidité. De trois, réexaminer la conditionnalité. De quatre, passer en revue les mécanismes de prêt pour les pays membres à faible revenu. Et de cinq, rehausser les limites d’accès aux ressources du Fmi et réexaminer les conditions de financement. Toutes ces questions devraient trouver des réponses à la prochaine assemblée annuelle du Fonds prévue en 2009, à Istanbul, en Turquie.
G. B. H

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