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vendredi 14 novembre 2008

Affaire 700 millions du CES/ Fologo: “Je m’appelle Monsieur Mains Propres”

Le président du Conseil économique et social, Laurent Dona Fologo, se prononce sur le récent report de l’élection présidentielle ivoirienne et l’affaire des 700 millions au sein de son institution.M. le président, ce n’est plus un secret pour personne, la présidentielle n’aura plus lieu le 30 novembre 2008. Que pensez-vous de cet autre report qui suscite de nombreuses réactions ? Comme vous l’avez dit, peu d’Ivoiriens sont surpris par la proposition du report du CPC. Souvenez-vous, lorsque la Commission électorale indépendante a proposé au Président de la République la date du 30 novembre, il a dit une chose qui est restée dans toutes les mémoires : « Ne me faites pas mentir. Etes-vous sûrs que vous serez prêts ?» Et la CEI avait dit : oui. Moyennant quoi lePrésident a signé le décret fixant la date du 30 novembre 2008 comme celle du premier tour de la présidentielle. Chemin faisant, lui-même s’est aperçu que des retards seraient accusés et il a fait allusion à la date du 15 décembre 2008. Mais nous constatons nous-même les difficultés à respecter ces délais. J’ai été parmi les tout premiers à dire publiquement que je ne ferai pas de la date décidée une fixation. Ce qui est important, pour moi, ce sont les conditions de préparation des élections. C’est, en effet, l’acceptation de la liste électorale par tous qui rend le scrutin crédible et accepté par tous pour que la Côte d’Ivoire avance. Je ne suis pas de ceux qui ontdonné dans la politique d’autruche, qui versent aujourd’hui des larmes de crocodile. Ce report était prévisible. Je suis même surpris que l’on ait attendu cette réunion du CPC pour savoir officiellement que les élections allaient être reportées. Et vous avez constaté que l’annonce de cet autre report n’a fait l’objet d’aucune émotion particulière. En tout cas, en ce qui me concerne, je suis pour qu’on ne fasse pas mentir le Président deux fois. Je souhaite que les spécialistes apprécient bien la situation au vu des difficultés qu’ils ont déjà traversées ; difficultés financières,techniques parce qu’il n’est pas aisé d’identifier, en un temps relativement court, sept à neuf millions de personnes. C’est la première fois en Côte d’Ivoire que des gens, qui votent depuis 1946 ou 1960, disons même depuis 1990 avec le multipartisme, sont obligés de se faire réidentifier. Des personnes de 90 ans doivent se déplacer vers les sites d’enrôlement comme les jeunes de 18 ans. La Cei pourrait rétorquer que ce sont les lourdeurs politiques qui retardent le processus et non elle. D’aucuns accusent même le Président Gbagbo de faire du dilatoire parce qu’il n’est pas sûr de sa victoire à l’élection prochaine. Vous savez que depuis que ce désordre a commencé en Côte d’Ivoire, l’opposition a toujours accusé le Président de la République. Le Président Gbagbo a été le premier à souhaiter les élections le plus rapidement possible. C’est lui qui a proposé en Afrique du Sud que l’on prenne la liste de 2000 sur lesquelles on était tous d’accord parce que ce sont ces mêmes listes qui ont permis à quelques partis qui n’avaient, jusque-là, aucune représentation d’avoir de grandes mairies comme Daloa, Gagnoa, Bouaké, San Pedro, Abobo, Korhogo et j’en passe. Comment ces listes étaient-elles bonnes en 2000 et subitement elles seraient devenues mauvaises en 2008 ?Alors que l’Institut national des statistiques (Ins) est là, lui qui est le cerveau de tout le système. Même les listes qui ont été détruites à l’intérieur du pays sont enregistrées à l’Ins. Le vrai problème de la Côte d’Ivoire, c’est le manque de confiance des uns dans les autres. Le Président Félix Houphouet-Boigny avait toujours appréhendé ce problème. Il nous avait toujoursinterpellé en nous demandant d’avoir confiance les uns dans les autres. Au Sénégal, les élections ont été faites par les Sénégalais, au Mali par les Maliens, au Niger par les Nigériens, en Algérie par les Algériens. Pourquoi ne peut-on pas les faire en Côte d’Ivoire par les Ivoiriens ? C’est nous qui avons fait appel à des étrangers que nous payons à des milliards de francs. Non seulement on reprend tout à zéro comme si nous n’avions jamais voté, mais ce processus nous coûte cher et prend beaucoup de temps. Il y a tout de même un minimum qui mérite notre confiance. Nous n’avons pas accepté ce minimum. Quand on sème le vent, on récolte la tempête. Ceux qui nous ont conduits dans ce trou ne doivent pas verser aujourd’hui des larmes de crocodile. Ils savent d’où viennent ces lenteurs et ils n’ont pas à accuser le Chef de l’Etat. Vous parlez de lenteur dans le processus d’identification. Mais ne pensez-vous pas que ce problème d’identification est le prix à payer pour une paix durable en Côte d’Ivoire car ne pas renouveler les listes aurait pu être encore source de dispute. Je vous ai dit : «quand on sème le vent, on récolte la tempête». Je ne partage pas cette position que vous exprimez parce que moi j’étais pour la révision des listes électorales et non pour la reprise à zéro de ces listes. Identifier neuf millions de personnes ? Vous rendez-vous compte de ce que cela représente comme travail ?Au début, on nous a dit que chaque personne prendra juste 10 minutes pour êtreidentifiée. A la vérité, ce sont plus de 30 mn qu’il faut. Quelquefois, l’appareil rejette l’opération et il faut recommencer.On a minimisé les obstacles, les difficultés techniques de l’opération. En outre, pourquoi identifier des gens qui votent depuis plus de 40 ans ? Pensez-vous qu’ils n’ont pas été suffisamment identifiés ? C’est pourquoi je pense qu’on aurait pu faire la révision des listes électorales, retirer les cas de décès comme nous le faisons à chaque élection, ajouter ceux qui ont aujourd’hui 18 ans qui est l’âge requis pour voter, puis les naturalisés. Et le problème serait résolu parce que nous aurions gagné du temps. Je pense également qu’on aurait dû séparer de l’enrôlement, la confection de la carte nationale d’identité qui peut se faire à tout moment. Ne pensez-vous pas que la procédure engagée vise à éliminer tous ceux qui seraient tentés de frauder sur la nationalité ivoirienne ?Je suis d’accord avec vous et je suis contre la fraude. J’ai même lu quelque part qu’on a attrapé un proche de Fologo qui était en train de frauder. Je ne sais pas qui est ce proche. Nous avons commencé ce combat contre la fraude depuis très longtemps. Souvenez-vous que le général Guéi, alors Chef de l’Etat, avait saisi un grand nombre de fausses cartes d’identité (environ 4000, ndlr). Nous sommes contre la fraude, mais je crois qu’une chose est de se battre pour l’éviter comme cela se fait dans beaucoup de pays. Et une autre chose est de tout recommencer à zéro comme jamais voté, si nous n’avions jamais eu de listes électorales. Je pense qu’on a été excessif à cause du manque de confiance. C’est tout. Pensez-vous qu’il n’existe pas en Côte d’Ivoire des personnalités, des magistrats intègres qui peuvent valablement faire ce travail ? Pourquoi le général Cissé au Sénégal (ancien président de la Commission électorale au Sénégal, ndlr) a réussi l’organisation des élections au point d’être aujourd’hui recruté par les Nations Unies comme expert des élections et cela ne peut se faire en Côte d’Ivoire ? Ce genre d’identification a pris un an au Bénin. Ce n’est pas une mince affaire. Avec toutes ces réserves que vous émettez, la nouvelle échéance fixée qui est la fin du premier semestre de 2009 sera-t-elle tenue ?Moi je ne suis pas un technicien et je ne veux même pas avancer une date. Je dis que puisqu’on veut remplir un certain nombre de conditions pour organiser ces élections et nous en sortir unefois pour toutes, on y est engagé, on est obligé d’aller jusqu’au bout. Est-ce que ce sera à la fin du premier semestre 2009 ou au delà ou encore avant ?Tout ce qui m’intéresse aujourd’hui c’est qu’on réussisse l’opération puisqu’on y est engagé. On y a engagé des milliards alors que les populations ont faim et ont besoin de moyens ; les routes sont dégradées, le pays est en mauvais état à cause de cette même guerre et de ce même désordre. Au lieu de faire face à cela, nous utilisons les ressources à organiser des élections. ça nourrit qui ? Je ne suis pas contre la démocratie, mais tout de même. On a toujours voté ici enCôte d’Ivoire avec ces mêmes listes ! Pourquoi vouloir tout reprendre à zéro ?M. le président, vous déplorez la récession économique du fait de la crise. Mais, un confrère vousaccuse de détournement de 700 millions destinés à la réfection de la clôture du Conseil économique et social. Qu’en est-il ?Vous me voyez sourire. J’ai toujours dit qu’en Côte d’Ivoire, le patrimoine politique le plus précieux,c’est d’avoir pu passer près de trente années dans les affaires publiques sans avoir fait l’objet d’une quelconque accusation. Je sais bien que le temps des campagnes électorales est aussi celui des calomnies, des médisances et de la volonté de nuire. J’ai pris une position en Côte d’Ivoire qui ne plaît pas à tout le monde. D’ailleurs, je ne l’ai pas prise pour plaire. Mais je souhaiteque la campagne soit juste, civilisée et honnête. Ceux qui connaissent les institutions d’Etat savent qu’on n’y a pas accès à l’argent liquide. Et si j’ai pu faire 22 ans au gouvernement sans une seule surfacturation ou fausse facture, je ne vois pas pourquoi à la fin de ma carrière je m’amuserais à ce genre de chose. Le Conseil économique et social utilise aujourd’hui un budget de fonctionnement plus important que par le passé parce que c’est devenu le quartier général de la société civile. Avant, nos locaux étaient pratiquement fermés à partir de 16h ou 17h. Mais aujourd’hui, allez au Conseil, c’est là que se tiennent les réunions des jeunes, ONG, écrivains, les dédicaces, etc. Cela a un coût parce que ces présences massives et répétées ont pour conséquences la consommation de l’électricité, l’eau, la dégradation des installations qui datent de 1961. Nous sommes parfois obligés de demander au ministre de l’Economie et des Finances quelques moyens supplémentaires pour y faire face. Vous voyez que le seul journal qui a écrit cette méchanceté gratuite, de par sa nature, ne pouvait pas écrire que Fologo est un gagneur.Pour quelles raisons ? Pour la simple raison que dans le même article, le journal écrit que je suis laudateur du Président Gbagbo. Il faut donc m’accuser d’avoir les mains moins propres que je ne le proclame. Mais je dis que les membres du Conseil économique et social, de par la constitution, sont nommés par décret du Président de la République. Je ne vois pas comment un Chef d’Etat nomme les membres d’une institution par décret et ces mêmes membres une fois nommés se retournent contre le Chef de l’Etat. Je suis contre cela et je ne l’ai jamais caché. C’est pourquoi je dis que jamais je ne ferai une seule intervention contre le Président de la République. S’il y a des choses sur lesquelles je ne partage pas sa position, eh bien ! J’ai accès à lui en tant que président d’institution. Je n’ai pas besoin de venir étaler cela dans un discours. Qu’on ne me demande pas de ne pas le soutenir. Jele soutiendrai. Le système de gestion du Conseil est tel que moi qui vous parle, je ne sais pas comment ça se passe. La gestion financière est le fait des questeurs qui sont membres du Conseil désignés à cette fin. Si ceux qui ont écrit l’article avaient seulement rencontré la questure, ils auraient compris qu’il est impossible que le président que je suis ait accès à l’argent liquide. C’est impossible. Moi je fais de lapolitique qui répare telle porte ou telle fenêtre. C’est le travail des questeurs. Ce qui est écrit est absurde. Mais ça ne fait que commencer parce que je ne cesserai pas de soutenir le Président de la République. Vous avez tout de même reconnu qu’il y a eu une augmentation du budget de fonctionnement. En avez-vous fait part au ministre de l’Economie et des Finances et quelle a été sa réaction ? C’est pourquoi j’ai avec moi ici des documents (le président nous présente des courriers que ses services ont échangés avec le ministère de l’Economie et des Finances, ndlr). Je ne parlepas en l’air. J’ai demandé au service concerné de me donner les documents qui concernent la gestion du Conseil. L’ancien questeur, Eugène Doudou Piot (décédé le 11 septembre 2008, ndlr), avait écrit le 22 juillet 2008 au ministre des Finances ; Voici la lettre (il nous la montre. Ndlr)pour demander l’autorisation d’utiliser une partie de ces fonds, qui avaient été prévus pour l’entretien, au fonctionnement parce que nous avions effectivement dépassé le budget alloué à cet effet en raison des nouvelles activités du Conseil. Cela, je le reconnais parce que j’ai voulu que le Conseil s’ouvre à toutes ces personnes extérieures qui viennent y organiser leurs activités. Et le ministre des Finances n’a pas refusé notre demande. Au contraire, nous avons eu leur accord avant d’utiliser une partie de cet argent pour travailler. Après le décès de Doudou Piot,les nouveaux questeurs, MM. Tibé Bi et Capo, ont actualisé par cette lettre que voici et qui date du 24 septembre 2008, nos préoccupations exprimées par M. Doudou Piot de son vivant. Il s’agissait de justifier l’utilisation de ces 700 millions comme cela a été demandé par le ministre des Finances. Les questeurs ont été avec ces documents aux discussions budgétaires et ils n’ont pas été désavoués. Je suis donc contre l’amalgame qui est fait entre la gestion du Conseil, mon voyage en Chine et ma mission d’homme politique. Lorsque je suis venu de la Chine avec les 3 milliards offerts par ce pays ami à la Côte d’Ivoire, j’ai demandé au ministre des Finances de voir dans quelle mesure il pouvait mettre une partie à la disposition du CES pour nous aider dans nos dépenses. Il m’a répondu qu’il allait examiner cela et si, c’était justifié, il nous remettrait quelquechose qui ne sera pas forcément une partie de l’argent que j’ai ramené de Chine. Jusqu’aujourd’hui, les 3 milliards sont à la disposition du ministère et je n’en ai pas touché un centime. Je ne peux pas accepter que mon honneur soit bafoué et ma moralité atteinte alors que j’ai passé trente ans dans les affaires publiques pour sauvegarder cela. Je m’appelle «Monsieur mains propres» et je veux conserver cela jusqu’à ma mort. Interview réalisé parAbel Doualy

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