Accueil

lundi 8 septembre 2008

Hubert Oulaye : « IL FAUT ADOPTER UN COMPORTEMENT SAIN VIS-A-VIS DES CONCOURS »


Pour cause de fraude constatée sur certains documents versés au dossier, 346 candidats ont été rayés du récent concours d’entrée à la prestigieuse Ecole nationale d’administration (ENA) organisée il y a quinze jours. Une révélation faite par le ministre de la Fonction publique et de l’Emploi, Pr. Hubert Oulaye, et qui jette une lumière crue sur un atelier organisé au mois de mai pour essayer de conjurer la rumeur têtue qui entoure les concours organisés par l’Etat.


L’atelier sur la lutte contre la fraude aux concours de la Fonction publique et à l’entrée à l’ENA que vous avez organisé en mai dernier n’est-il pas finalement un aveu de l’existence de la fraude comme l’affirme la rumeur ?
Il y a une difficulté dans le sujet. La difficulté, c’est comment appréhender le phénomène même de la fraude. On n’a pas, à ce jour, attrapé un candidat en train de frauder. Mais il y a beaucoup de bruits qui laissent croire que ceux qui réussissent ne sont pas forcément les meilleurs, mais plutôt parce qu’ils auraient les moyens financiers ou des relations… Comment distinguer un candidat fraudeur alors même qu’au cours du déroulement du concours on ne l’a pas pris comme tel. Est-ce à dire qu’il n’y a pas de fraude ? Nous n’avons pas voulu entrer dans ce débat. C’est un débat qui serait stérile. Les rumeurs de fraude aux concours ne datent pas d’aujourd’hui. Nous, ce que nous retenons, c’est que le phénomène s’est amplifié en terme de rumeur. Il y a donc à regarder de près pour voir ce qui se passe exactement, voir si ce qui fait l’objet de la rumeur est fondé et , si cela est fondé, comment solutionner le problème. C’était l’objet de cet atelier. Ce n’est donc pas un aveu, mais c’est le souci de recherche de la vérité pour pouvoir corriger, en cas de réalité, ce qui aura été trouvé.

Au nombre des faits qui alimentent la rumeur, il y a la longue attente qu’on observe entre le moment de la composition et celui de la proclamation des résultats. Qu’est-ce qui explique cela et que propose l’atelier sur ce point précis?
Effectivement, au niveau des échanges, la question du délai est revenue. Nous avons fait deux distinctions : nous avons distingué le concours de l’ENA (Ecole nationale d’administration, Ndlr) des concours de la Fonction publique. A l’ENA, la proclamation se fait très rapidement, je dirais même sur l’heure, en dehors de la première partie du concours qui débouche sur l’admissibilité où il y a des corrections de copies qui prennent entre deux et trois semaines maximum. Vous avez ensuite l’étape de l’oral et là, les résultats sont directement proclamés dans l’heure qui suit.
C’est vrai que l’année dernière, certaines personnes ont écrit et ont prétendu qu’entre la fin de l’interrogation et la proclamation, il y avait eu un décalage d’au moins trois heures et qu’on aurait pris deux heures pour venir rencontrer le ministre avant d’aller proclamer les résultats. Je peux vous dire que c’est faux. Personne ne peut le confirmer parce que ce n’est même pas possible. Depuis huit ans que je suis là, jamais le jury ne m’a amené une quelconque liste avant de la publier. Ca ne s’est jamais fait et ça ne se fera jamais ici.

L’atelier a aussi examiné un aspect qui, à vos yeux, apparaît comme extrêmement important : la communication…
En vérité, il est apparu que si nous parlons de fraude, c’est que nous parlons de comportements, aussi bien des candidats que des personnes liées aux candidats, ainsi que des organisateurs. Et nous croyons que si chacun s’éduque, prend conscience qu’il doit adopter un comportement sain vis-à-vis des concours, il y a fort à parier que beaucoup de choses ne seraient plus racontées.

Au niveau de la Fonction publique, force est de constater que les choses ne sont pas aussi simples…
La Fonction publique organise chaque année à peu près 500 concours, à la différence de l’ENA qui en organise trois sur une durée d’un mois. Ce sont des concours différents les uns des autres et qui appellent également des correcteurs différents. Bien souvent, nous avons des problèmes de correcteurs. Dans certains cas, il faut courir après les correcteurs. Il y a plein de disciplines dans lesquelles nous avons ces problèmes. Il faut trouver les correcteurs. Ensuite, il faut qu’ils aient le temps de venir corriger.
Pour l’ensemble des concours de la Fonction publique, nous avons autour de 100 000 candidats. Certains concours rassemblent, à eux seuls, près de 20 000 personnes et demandent un certain temps. Mais pour d’autres, qui ne sont même pas à grand tirage, où vous avez trois ou quatre candidats, la motivation du correcteur pose problème. La copie étant payée à 150 francs, généralement, les correcteurs se font tirer les oreilles. Nous avons donc ce type de problèmes qui font qu’entre le moment où un concours a lieu et la proclamation, les choses peuvent s’étaler. Certains peuvent penser que c’est l’occasion de faire un certain nombre de choses. Libre à eux ! Mais nous disons que si les gens pensent que c’est à ce niveau-là, nous allons voir également comment resserrer les choses.

Le système d’organisation des concours de la Fonction publique date de 1992. Une adaptation ne s’impose-t-elle pas aujourd’hui ?
Bien sûr que si. Mais nous n’avons pas attendu aujourd’hui pour faire des adaptations. Au fur et à mesure que nous relevons des failles, nous faisons des adaptations. Je vous en donne un exemple : nous avons trouvé en place un système d’anonymat qui ne donnait pas satisfaction. On pliait les feuilles. Il suffisait de placer les feuilles d’une certaine façon pour lire les noms à la lueur de la lumière. Nous avons donc changé. Auparavant, il n’existait pas de possibilité de réclamations après les concours. Nous avons institué cette possibilité depuis 2001. Et chaque année, dès que le calendrier des concours est publié, nous le spécifions aux candidats. Nous avons instauré même un délai de six mois avant de détruire les copies puisque nous n’avons pas les moyens de les archiver. C’est dire que nous n’avons pas attendu pour apporter des correctifs et faire en sorte que les résultats soient des résultats vrais.


Avec 100 000 postulants en moyenne chaque année, les concours de la Fonction publique, manifestement, drainent du monde. Pour peu de places. Comment donc est le déterminé le nombre de places à ces différents concours et aussi à celui de l’Ena ?
A l’Ena comme à la Fonction publique, les places aux concours sont déterminées à l’issue de ce qu’on appelle la conférence des mesures nouvelles. De quoi s’agit-il ? Chaque année, tous les ministères se retrouvent avec le ministre de l’Economie et des Finances pour faire connaître leurs problèmes d’effectifs. En fonction du nombre de personnes qui partent à la retraite, ils font savoir le nombre de fonctionnaires nécessaires pour occuper les postes. Un comité procède aux arbitrages en fonction des besoins prioritaires de l’Etat et des moyens d’ouverture de postes en terme financier du ministère de l’Economie et des Finances.
La plus grosse partie des recrutements annuels bénéficie au ministère de l’Education nationale. En deuxième position, c’est le ministère de la Santé. Les deux ministères prennent à eux seuls près de 70%. Les 30% restants sont repartis entre tous les autres ministères. C’est en fonction de cela que nous faisons les arbitrages. Si le ministère des Eaux et Forêts, par exemple, vient dire que pour les besoins de conservation des forêts, ses effectifs sont insuffisants et qu’il faille recruter 300 agents des Eaux et Forêts, le ministère de l’Economie et des Finances peut décider de n’accorder que 200 places, compte tenu de ses moyens. Si c’est cela qui est retenu, nous, ministère de la Fonction publique, nous organisons un concours pour recruter 200 personnes que nous mettons à la disposition du ministère des Eaux et Forêts. C’est sur cette base que nous établissons le quota des postes mis au concours, à l’ENA comme à la Fonction publique.
Votre question est d’autant plus pertinente que d’année en année, le nombre de candidats augmente. Il a augmenté de façon surdimensionnée.

Quelques chiffres ?
Nous recrutons en moyenne, pour l’ENA, 400 agents chaque année. Il y a quelques années, le nombre de candidats oscillait entre 5 000 et 6 000. Aujourd’hui, nous sommes à 16 000 pour 400 places. Au niveau de la Fonction publique, il y a quelques années, nous étions autour de 30 à 40 000 candidats pour 4 000 postes à peu près. Aujourd’hui, nous sommes montés à près de 6 000 postes directs et à moins de 2 000 promotions internes. Mais on est passé de 40 000 à près de 100 000 candidats… La pression est forte. Et donc, moins il y a de places mises au concours, plus il y a de candidats et plus fort résonne la rumeur qui veut que pour réussir, il ne faut pas seulement être intelligent, il faut donner de l’argent.

Peut-on mener une lutte sans réprimer ? En d’autres termes, avez-vous prévu un arsenal de répression ?
La lutte ne peut pas se passer de la répression ; bien au contraire. Mais selon nous, après avoir fait un diagnostic, si nous arrivons à identifier les éléments de fraude ou les facteurs de fraude, la première chose à faire, c’est de corriger. Il faut corriger le système. A mon sens, c’est vraiment 60 à 70% dans cette lutte. Plus le système est verrouillé, moins il y a de possibilité de fraude et on entendra moins de bruissements. La seconde chose à faire, c’est la prévention de la fraude. Pour éviter les voleurs, on met des policiers pour les effrayer… Nous allons essayer de faire la même chose en prenant des dispositions qui soient en mesure de décourager tous ceux qui voudraient frauder. La dimension de sanction ne manquera pas. Si nous mettons la main sur un fraudeur, nous en tirerons immédiatement les conséquences. Si le fraudeur est un agent de la Fonction publique, il sera sanctionné immédiatement.

Au niveau des concours de la Fonction publique, on entend souvent parler de « listes additives ». De quoi s’agit-il et quand interviennent-elles ?
Nous sommes souvent surpris quand nous en entendons parler. Généralement, il n’y a pas de liste additive. Ce qui se passe, c’est que lorsqu’il y a un concours et que les résultats sont proclamés, le ministre signe un arrêté d’admission pour constater les personnes effectivement déclarées admises par le jury. Ce qui peut se passer, c’est que lorsqu’on a proclamé l’admission, les candidats sont appelés à venir confirmer, compléter leurs dossiers. Souvent, il y en a qui ne viennent pas, soit parce que ça ne les intéresse plus ou qu’ils ont trouvé les moyens de partir à l’extérieur et, donc, la place est vacante, soit que les dossiers qui ont été déposés ne sont pas complets. Souvent, on admet que les gens déposent des attestations de réussite. Mais au moment de faire les vrais dossiers, nous exigeons les diplômes. Il y en a qui sont incapables de les donner et donc ils ne viennent pas non plus. Il y a donc un vide. Que faisons-nous alors puisque c’est sur la base d’une demande formulée par une administration que nous avons organisé le concours ? Pour combler le vide, nous prenons les suivants dans l’ordre qui a été établi par le jury. Il s’agit plus de remplacement que de liste additionnelle puisqu’en réalité il n’y a pas une deuxième délibération.
Evidemment, qu’est-ce se passe, puisque nous parlons de fraude ? Il y a des personnes qui, ayant pris de l’argent à des candidats, leur disent qu’il va y avoir des listes additionnelles, afin de les faire patienter. C’est comme ça que la rumeur fabrique des choses qui n’existent pas. On a même vu l’année passée, des hommes qui ont pris de l’argent à des candidats. Conduits à la police, l’un d’eux a fait croire qu’il était agent de la Fonction publique et qu’il s’occupait spécialement des listes additionnelles au ministère. C’est vous dire l’imagination des gens pour escroquer leurs prochains.

A propos de liste, il se murmure que des listes de noms sont d’avance soumises à admission par les ministres bien avant même le déroulement des concours…
Je n’ai jamais vu cette réalité. Mais on peut interroger les gens qui réussissent à ces concours et leur demander quels sont leurs liens avec telle ou telle personne. Il y a des pressions, c’est vrai. Si des gens vont jusqu’à proposer de l’argent pour réussir à tel ou tel concours, ce ne sont pas les pressions morales ou autres qui manquent. Mais croyez-moi, il n’y a pas de liste qui provienne de quelque part.

En 2007, vous avez inscrit dans l’organigramme du ministère une cellule de lutte contre la fraude qui ne fonctionne toujours pas. Pourquoi ?
Comme beaucoup d’autres structures que nous avons, elle n’a pas fonctionné pour différentes raisons, financières essentiellement. Mais ce qu’il faut retenir, c’est que cette cellule va travailler maintenant. Ce que nous avions envisagé au départ, c’était vraiment une structure interne pour nous aider à juguler la fraude que nous observons dans plusieurs domaines, pas seulement ceux des concours. Mais nous allons accroître sa mission pour ce qui concerne les concours et nous allons y intégrer des personnes extérieures au ministère. Cette cellule va également être appuyée par la police et la gendarmerie. Nous allons discuter avec ces différents corps et établir un protocole, une convention de travail, dans le sens de la lutte contre la fraude. La fraude, comme je l’ai dit, est multiforme. Nous avons besoin d’ouvrir les yeux, d’être en prévention, en répression. Nous pensons que cette cellule sera l’élément moteur pour nous aider dans la mise en œuvre des mesures que nous avons arrêtées.

Justement, à quand l’application des résolutions de cet atelier ?
Des discussions ont émergé des idées qu’il nous faut mettre en pratique. Nous en sommes à l’élaboration. Dès que c’est fait, nous allons passer à la mise en pratique, sans attendre. Nous sommes aujourd’hui dans la période des concours. Les concours à la Fonction publique ont commencé. Ceux de l’ENA également. Comme ces concours sont organisés jusqu’à la fin décembre, dès que ces mesures seront prêtes, elles seront mises en œuvre immédiatement. Je ferai même une communication en conseil des ministres autour de ces mesures pour recueillir les avis du gouvernement et également un appui.

L’une des recommandations fortes de l’atelier a été de mettre l’accent sur la communication, en d’autres termes d’éduquer la population. N’est-ce pas se battre contre des moulins à vent dans le contexte d’aujourd’hui où tout le monde est quasiment convaincu que pour réussir il faut nécessairement être un fils à papa à défaut d’avoir la bourse bien pleine ?
Vous êtes communicateur et mieux placé pour dire quelle est la force des médias, de l’action de communication dans la recherche d’un changement de comportement. Je ne suis pas un spécialiste, mais je crois que ne rien faire, c’est conforter des croyances. Or ici, ce n’est pas une bonne croyance. Elle est malsaine, elle discrédite des institutions de l’Etat, elle discrédite des personnes que je considère comme étant des personnes crédibles, elle discrédite même des personnes méritantes ; il ne faut pas laisser les choses se faire. Mais la vérité, c’est que face à la question qui est posée qui est celle de la fraude et qui frappe pratiquement tous les concours organisés par l’Etat, il faut réagir. C’est toute la société ivoirienne qui est en cause. A partir du moment où, pour aller passer le CEPE, les parents accompagnent les élèves pour aller « voir » le professeur, eh bien, ce sont des habitudes qui sont prises. Et on pense même que ça ne peut être autrement. A la vérité, ce n’est pas qu’on a vu des personnes frauder. La plupart de ceux qui parlent affirment que ça ne peut pas être autrement parce que depuis le bas jusqu’en haut et même sur les latéraux, c’est comme ça que les choses se passent. Le contraire ici, à leurs yeux, serait étonnant. Il faut donc rentrer dans la mentalité des Ivoiriens pour dire que les choses ne sont pas normales quand elles se passent ainsi. On n’a pas besoin de se déplacer pour donner quelque chose à quelqu’un pour obtenir ce que les seuls mérites de votre enfant peuvent lui donner. Il faut l’expliquer pour que les gens en soient conscients et que tout le système soit éduqué de telle sorte. .. Si on dit aux gens qu’ils n’ont pas besoin de payer, que le système est transparent, verrouillé, ce sera quelque chose de gagné. Il y a donc une éducation à faire. Je ne suis pas naïf pour croire que c’est en un tour de main qu’on va réussir. C’est toute une action à mener en direction de toute la société. En attendant, pour le petit ressort dont nous avons la responsabilité, on va essayer d’expliquer aux candidats qu’il ne faut pas donner de l’argent. Sinon, eux-mêmes seront des corrupteurs et complices actifs. L’action de communication que nous allons mener va prendre cette direction.

Il y a quelques années, au Niger, pour restaurer la confiance avec les populations convaincues alors elles aussi que les concours étaient entachés de fraude, les copies étaient convoyées en France pour correction. Envisageriez-vous une telle mesure ici ?
Je ne crois pas qu’on ait besoin de ça. En Côte d’Ivoire, si je prends les examens du BEPC ou du Bac, pendant un moment, il y a eu beaucoup de bruits. Depuis, des systèmes ont été trouvés et aujourd’hui, il y a moins de bruits. Donc, nous pouvons trouver des systèmes. La question véritable est de savoir si le problème se situe au niveau de la correction. Si c’est à ce niveau, on trouvera la solution. Dans les deux systèmes concernés, les copies ne bougent pas. Les correcteurs corrigent sur place et les copies sont anonymes. A quel niveau se situe donc le problème ? Nous cherchons. De toutes les façons, nous allons renforcer le système actuel et si besoin est, le modifier.

Interview réalisée par
ELVIS KODJO
kodjo@fratmat.info

Aucun commentaire: